
Production d’écrits
Qu'est-ce qu'écrire?
Écrire est un acte extrêmement complexe, car il nécessite de réaliser plusieurs activités intellectuelles simultanées, entre autres :
- penser au contenu: inventer des idées, les planifier et les structurer ;
- veiller à la forme du texte: présentation, syntaxe, choix des mots, orthographe (lexicale et syntaxique) ;
- gérer l’activité motrice pour tracer le texte sur la feuille.
Tout ceci nécessite une concertation importante et mobilise une grande part des ressources mentales disponibles. Le scripteur se trouve ainsi souvent en situation de surcharge cognitive.
Écrire, c’est construire du sens dans une production écrite personnelle, de manière lisible et en respectant la norme. Il s’agit d’une activité indispensable au transfert des connaissances et compétences apprises dans les activités d’orthographe phonologique, lexicale et syntaxique. En effet, la recherche montre que les situations d’apprentissage décontextualisées ne suffisent pas si l’on entend développer progressivement la gestion autonome par les élèves de leurs propres écrits. Ainsi, la finalité de toutes les activités d’orthographe n’est pas d’amener l’élève à réussir des dictées ou des exercices lacunaires, mais bien de développer une capacité de relecture et de correction orthographiques lorsqu’il révise ses propres textes.
Donc, la réflexion sur la langue s’avère plus efficace lorsqu’elle s’articule avec des activités de production écrite : mettre les élèves dans des situations authentiques d’écriture, leur permettre de s’adresser à un “vrai” lecteur, ce qui donne du sens au toilettage orthographique. De plus, l’articulation entre activités de langue et d’écriture favorise le transfert des apprentissages dans les écrits personnels. Selon le référentiel “Français Langues anciennes” (FWB, 2021), “pour développer les compétences d’écriture, les élèves doivent avoir l’occasion de s’engager dans des projets signifiants, au sein desquels ils disposent d’une marge de manoeuvre suffisante pour s’exprimer, et du temps nécessaire pour le faire (p.25).”
À l’école, écrire permet en outre aux élèves de construire leur pensée. En effet, il ne s’agit pas simplement pour l’élève de retranscrire une pensée préexistante, mais c’est au travers l’activité d’écriture en elle-même que sa pensée se développe et se structure. Apprendre aux élèves des stratégies pour produire des écrits est donc essentiel, dans une perspective d’autonomie et d’égalité entre les élèves. Certains élèves n’ont jamais l’occasion d’observer, en dehors de l’école, des scripteurs en action. Ils ont donc besoin que leurs enseignants se mettent en situation d’écriture en classe, partagent leurs ressentis, explicitent leurs démarches et décomposent l’acte d’écrire. Les mini-leçons permettent d’enseigner chaque stratégie de manière efficace.
Écrire est un acte complexe qui entraine souvent une surcharge cognitive chez les élèves, surtout au début de l’entrée dans l’écrit. Ainsi, les jeunes scripteurs consacrent beaucoup d’énergie et d’attention à l’encodage qui n’est pas encore automatisé. Dès lors, l’énergie ne peut être consacrée à d’autres choses comme à l’emploi d’un vocabulaire varié, l’articulation pertinente des idées, ou même à l’orthographe.
Pour cette raison, la recherche recommande d’enseigner l’écriture en différentes étapes. C’est ce que l’on nomme le processus d’écriture.
Le processus d'écriture
Une stratégie se définit comme une suite d’opérations agencées de façon à atteindre un but particulier avec efficacité. Un bon scripteur a généralement automatisé un grand nombre de ces stratégies, ce qui lui permet de rédiger un texte relativement facilement. Chez des élèves jeunes, pour diminuer la surcharge cognitive, la production écrite gagne à être organisée en plusieurs étapes : planification – mise en texte – révision – correction. C’est ce qu’on appelle le processus d’écriture.
Le processus est enseigné explicitement en classe afin que l’élève puisse se situer correctement dans l’écriture, et à terme, effectuer des allers et retours entre les différentes étapes, ce qui améliorera la qualité de ses écrits. En effet, le processus d’écriture n’est pas forcément linéaire : les élèves peuvent passer d’une composante à l’autre, puis revenir à la première. En outre, selon leurs forces et leurs défis propres, les élèves peuvent avoir besoin de plus ou moins d’étayage dans l’une ou l’autre des composantes.
Lors de la phase de planification, l’élève détermine son intention d’écriture : comme le signale le référentiel “Français Langues anciennes” (FWB, 2021), les élèves “doivent savoir pour quoi et pourquoi ils écrivent et à qui ils s’adressent” car cela leur permet de “donner du sens aux tâches d’écriture” (p.25). Lorsqu’il planifie, l’élève fait également émerger ses idées et il les organise entre elles en fonction de l’intention et du destinataire. Plus le scripteur possède de connaissances sur le sujet, mieux il récupèrera ses connaissances préalables en mémoire. Cet élément est crucial car d’une part, l’élève met plus facilement en relation les connaissances antérieures qu’il a activées ; d’autre part, une fois cela réalisé, il conserve une partie de ses ressources cognitives pour les autres composantes du processus rédactionnel. La planification nécessite également de penser à la structure de texte inhérente à son projet d’écriture (ex : s’il écrit une lettre, il choisira la disposition ad hoc).
La mise en texte est le moment où l’élève écrit son texte, en fonction de ce qu’il a planifié. Cette mise en texte est très complexe, car elle nécessite notamment de gérer les aspects grammaticaux du texte (organisation globale du texte, progression thématique, emploi des temps verbaux, ponctuation) et de la phrase (orthographe, syntaxe, lexique), afin de produire un texte clair, cohérent et adapté à la situation de communication.
La révision peut être considérée comme l’autoévaluation du texte écrit, du point de vue du contenu et de la cohérence. Lorsque le scripteur relit seul son propre texte, juste après l’écriture et sans objectif ni outil spécifique, la révision est généralement peu efficace, comme l’ont montré plusieurs recherches. Il se peut également qu’un scripteur perçoive ce qui ne “fonctionne” pas dans son texte, mais se trouve dans l’incapacité de résoudre le problème décelé. Des outils de vérification de texte peuvent alors aider à se focaliser sur certaines dimensions du texte et à mobiliser les stratégies adéquates de manière autonome (ex. : “as-tu trouvé des idées? les as-tu organisées? as-tu ajouté des détails? quand tu as écrit, as-tu répondu à toutes les questions : qui, où, quand, quoi? “), afin, progressivement, de les automatiser. Toutefois, ce type d’outil gagne en efficacité si chacune des stratégies qui y sont évoquées a été préalablement enseignée et entrainée en classe.
En fin de processus, l’élève peut être amené à corriger son texte pour le rendre conforme à la norme. C’est la phase de correction. A cet égard, il est intéressant que les élèves apprennent à distinguer les écrits intermédiaires (premiers jets, écrits de réflexion pour soi), qui nécessitent que l’on se focalise essentiellement sur le contenu et pour lesquels une correction n’est pas forcément nécessaire, et les écrits institutionnalisés (partagés, publiés, adressés à un lecteur), qui nécessitent en outre de prendre du temps et de s’outiller pour mener rigoureusement la correction. Pour développer la relecture autonome et le transfert des apprentissages orthographiques dans les textes personnels, l’enseignant veille à laisser à l’élève une part de la responsabilité du repérage, de l’identification et/ou de la correction de ses erreurs. En effet, un enseignant qui corrige systématiquement chaque forme erronée dans les premiers jets de ses élèves les empêche par là même de prendre de la distance par rapport à leur orthographe spontanée et de solliciter les savoirs acquis pour se corriger. La main, un outil de relecture, permet aux jeunes élèves, progressivement, de s’outiller en stratégies pour la correction orthographique.
Un dispositif tel que les cercles d’auteurs permet aux élèves de s’approprier le processus d’écriture. L’atelier dirigé d’écriture permet, lui, d’accompagner un petit groupe d’élèves avec plus de proximité.
Les gestes professionnels qui font la différence
Les recherches montrent que certaines pratiques enseignantes permettent aux élèves d’évoluer davantage. Voici une liste non exhaustive de pratiques efficaces.
- Écrire dans des situations authentiques, dans un projet d’écriture. L’élève doit avoir une intention, un destinataire défini avant de planifier et rédiger son texte;
- Écrire des contenus personnels/signifiants;
- Écrire tous les jours, dans toutes les disciplines;
- Écrire des textes de tailles, de structures et de genres variés;
- Articuler orthographe et expression écrite;
- Inscrire l’écriture et la relecture/correction orthographique dans un continuum;
- Enseigner explicitement les stratégies d’écriture (planification – mise en texte – révision – correction);
- Distinguer les écrits intermédiaires (en chantier ou pour soi) des écrits institutionnalisés (= à corriger méthodiquement);
- Avancer progressivement vers l’autonomie;
- Prévoir un temps et des outils spécifiques pour la correction des écrits institutionnalisés;
- Se donner des objectifs de révision adaptés à sa zone proximale de développement.
Tous ces gestes sont importants. Il semble que, chez les jeunes élèves, la ritualisation et l’explicitation des stratégies soient particulièrement efficaces pour que les jeunes auteurs puissent entrainer, automatiser leurs acquis, et ainsi prendre confiance en eux.
Pourquoi écrire en même temps qu'apprendre à lire?
Avant tout, examinons le point de vue neuronal. Apprendre à écrire les lettres par le geste permet au cerveau de sortir de sa phase “miroir” et donc aux élèves de confondre les lettres “inversées” telles que ‘p’ et ‘q’ ; ‘b’ et ‘d’. En effet, le cerveau ne comporte pas de zone spécifique à l’apprentissage de la lecture, à l’inverse de l’apprentissage de la parole. Ce sont donc des zones destinées à un autre usage qui doivent s’adapter, et se modifier pour pouvoir apprendre à lire. D’où la complexité de cet apprentissage, qui plus est pour les élèves de 6 ans, avec une capacité d’abstraction très laborieuse. Donc, en ce qui concerne le phénomène “miroir”, la zone visuelle est sollicitée. Naturellement, elle a tendance à nous envoyer un message “trompeur” : les images en miroir correspondent à un seul et même objet. Donc, si l’on transfère aux lettres, le message reçu du cerveau est que les lettres ‘p’ et ‘q’ sont identiques !
La phase de confusion des lettres en miroir est donc une phase normale dans l’apprentissage de la lecture. Ainsi, les élèves doivent « lutter » contre l’idée que certaines lettres sont les mêmes. Dès lors, écrire les lettres peut jouer un rôle essentiel dans cet apprentissage, en aidant les élèves à distinguer certaines lettres les unes des autres, tout en aidant à mémoriser l’image de celles-ci (le geste renforce la mémorisation de l’image de la lettre).
De nombreuses recherches vont plus loin dans l’importance de lier écriture et lecture. Ouzoulias (2022), par exemple, insiste sur le principe que lier l’apprentissage de la lecture à des situations de productions écrites favoriserait la clarté cognitive, l’acquisition de la conscience phonologique. De plus, placer l’élève en situation d’écrit lui permet de s’approprier la langue écrite dans toute sa dimension.
Écrire quand on ne maitrise pas le code...
En première année de l’enseignement primaire, il peut être difficile d’envisager de faire écrire les élèves alors qu’ils n’ont pas appris toutes les lettres. Mais la recherche a montré qu’enseigner la lecture et l’écriture conjointement permet de mieux maitriser des stratégies liées à ce deux compétences. Il est conseillé de faire écrire des mots ou des textes courts, très souvent (voire quotidiennement), en montrant aux élèves les outils sur lesquels ils peuvent s’appuyer et en explicitant leur fonctionnement. Avoir recours à l’oral est une pratique qui peut aider : mettre les mots à l’oral avant de les écrire peut faciliter la tâche à de nombreux élèves. Après avoir transcrit leur texte, les élèves apprennent à relire ce qu’ils ont écrit pour vérifier qu’ils n’ont pas oublié de phonèmes, par exemple. L’enseignant peut aussi prendre en charge certains aspects de l’écriture que les jeunes scripteurs ne peuvent pas encore gérer, dans un dispositif de dictée à l’adulte, par exemple. Certains élèves en difficulté peuvent aussi écrire, dans un premier temps, avec des lettres mobiles.
Très rapidement, l’élève écrit ses propres textes, en capitales (imprimé) pour les lettres qu’il n’a pas encore appris à tracer. Au fur et à mesure du temps, il passe à son rythme, à l’écriture cursive. Dès lors, pas besoin d’attendre d’avoir appris le geste de chaque lettre avant de se lancer en production d’écrits.
Deux procédés sont particulièrement intéressants pour les jeunes scripteurs : les orthographes approchées et les ateliers dirigés d’écriture.
Pour aller plus loin...
- Ouzoulias, A. (2022). Lecture Écriture. Quatre chantiers prioritaires pour la réussite. Retz.
- https://atelierecritureprimaire.com