La phonographie

Qu'est-ce qu'est la phonographie ?

L’acquisition de la phonographie constitue généralement une première étape dans l’acquisition de l’orthographe. En effet, dès les premiers mois de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, on apprend aux enfants la correspondance entre les sons (appelés phonèmes) et les lettres (les graphèmes).

Cette stratégie permet aux élèves de produire très tôt des phrases compréhensibles en écrivant de façon analytique (graphème par graphème). L’orthographe est alors généralement “phonologiquement plausible” mais incorrecte par rapport à la norme. 

Pour parvenir à cette première étape, différents compétences sont nécessaires : 

  • la conscience phonologique; 
  • la discrimination auditive;
  • le principe alphabétique.  

 Ces différents axes sont développés ci-dessous. 

Les trois axes de la phonographie
  • La conscience phonologique 

Avant de pouvoir s’approprier la correspondance entre les sons et les lettres qui les représentent, les enfants doivent prendre conscience que ces derniers traduisent les sons du langage oral. Cela parait évident pour nous, en tant que “scripteurs experts”, mais cela l’est beaucoup moins pour les apprentis lecteurs/scripteurs. En effet, à cet âge, les enfants portent davantage leur attention sur la signification du message (le sens) que sur la manière dont il est transmis (le code). Cette compétence n’apparait pas spontanément et nécessite un apprentissage explicite.

La conscience phonologique (aussi appelée métaphonologie) correspond à la “connaissance consciente et explicite que les mots du langage sont formés d’unités plus petites (syllabes, phonèmes)” (Jager & al., 2000). Il s’agit donc de la capacité à percevoir et identifier les différentes composantes phonologiques (mots, syllabes, attaques, rimes, sons) et à les manipuler : localiser, enlever, substituer, inverser, ajouter, combiner…

Pourquoi s’y intéresser dans le cadre du développement de l’orthographe?

Divers auteurs soulignent que le niveau de conscience phonologique des enfants au début de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture constitue un élément déterminant dans ces apprentissages (Jager & al., 2000). En effet, si l’élève n’est pas capable d’analyser finement la suite de sons qui constituent les mots, il risque de commettre des erreurs (ajout, suppression, inversion, substitution de phonèmes…) dans la transcription de ces derniers en lettres.

La conscience phonologique mérite donc qu’on s’y intéresse, et ce dès la maternelle. Même si la plupart des enseignants sont convaincus du bien fondé de ce travail, l’expérience nous montre que beaucoup manquent de repères quant à la progression à adopter au sein des activités proposées.

Vous trouverez plus d’informations et de repères sur la conscience phonologique ici.

  • La discrimination auditive

En plus d’apprendre à découper les mots en unités plus petites (syllabes, phonèmes), l’élève doit également être capable d’entendre la différence entre les différents sons afin de les distinguer et les identifier correctement.

La discrimination auditive correspond donc à l’aptitude à percevoir une différence entre les sons d’une langue. Il s’agit également d’un prérequis nécessaire pour pouvoir prononcer, lire et écrire correctement les sons.

En français, certains sons sont très proches d’un point de vue phonétique et se ressemblent. Cela explique que des enfants peuvent avoir des difficultés pour les discriminer et ce, en l’absence de trouble auditif. C’est notamment le cas des sons p/b, t/d, k/g, ch/j et f/v qui ne diffèrent que par la mise en action des cordes vocales.

En cas de bilinguisme, la langue maternelle de l’élève va également conditionner sa manière de percevoir les sons. Celui-ci pourra avoir plus de difficultés à percevoir des sons si ces derniers sont “absents” dans sa langue. On parle alors de “surdité phonologique”. Attention, celle-ci n’est pas pathologique, mais nécessitera probablement un entrainement particulier via des exercices de discrimination ciblés.

Enfin, pour aider les élèves en difficultés, que ce soit au niveau de la discrimination auditive ou même au niveau de la conscience phonologique (voir ci-dessus) il est conseillé d’utiliser des supports visuels (images, jetons, code pour illustre le mot, la syllabe, le son…) ou des repères kinesthésiques (déplacements, gestes Borel-Maisonny, verbo tonale…) afin de rendre l’auditif plus “concret”.

  • Le principe alphabétique

Le principe alphabétique se rapporte à la compréhension qu’une lettre (ou groupe de lettres) correspond à un son et inversement. Il s’agit de la correspondance entre les phonèmes et les graphèmes. Elle permet à l’élève de comprendre que l’écrit ne code pas directement le sens des mots, mais leurs sonorités.

Cette acquisition s’opère progressivement. On distingue généralement 8 stades principaux dans son développement (Goigoux, 2016).

Afin de favoriser l’acquisition du principe alphabétique chez l’élève, il est important de le placer régulièrement en situation d’écriture durant laquelle l’élève est amené à découper la chaine sonore et à l’encoder, en utilisant ses connaissances. Ce type d’activité peut être proposé avant la première année primaire. En effet, ces exercices l’incitent à s’interroger face au fonctionnement du code. C’est en utilisant la langue écrite que l’enfant acquiert petit à petit la compréhension de celui-ci et accroit la conscience métalinguistique nécessaire au développement de ce principe (Montésinos-Gelet & Morin, 2006). Il n’est donc pas nécessaire d’attendre que l’élève sache lire tous les graphèmes pour être placé en situation de production d’écrit.

Le dispositif des orthographes approchées permet de travailler ce principe dès l’entrée à l’école primaire (voire dès la troisième maternelle).

Enfin, pour aider l’enfant à prendre conscience de cette relation entre l’oral et l’écrit, il est également nécessaire d’enseigner explicitement, de verbaliser et de faire verbaliser les différentes stratégies employées: “j’étire le mot”, “j’écoute les sons”, “j’écris les sons”… L’utilisation de panneaux d’ancrage permet à l’élève de devenir progressivement plus autonome dans l’acquisition de ces dernières.

Comment enseigner ces compétences ?
  • L’articulation entre l’oral et l’écrit

Plusieurs études (DEPP, 2011) montrent que l’implémentation systématique de dispositifs visant à développer la conscience phonologique au sein des classes ne se traduit pas forcément par une amélioration significative des résultats des élèves en lecture et écriture. Si cette compétence est effectivement un prérequis, comment expliquer alors ces résultats mitigés?
Cela s’explique à la fois par la nature des stimuli à analyser et par l’organisation des activités proposées.

Tout d’abord, rappelons que le travail de la conscience phonologique correspond à l’analyse, de plus en plus fine, des éléments qui constituent la langue orale. Les élèves sont invités à décomposer, manipuler des stimuli purement auditifs, ce qui les rend fugaces et difficile à saisir. Cela est d’autant plus marqué lorsqu’ils arrivent à l’analyse des phonèmes et surtout des consonnes (Ouzoulias, 2014).  Ensuite, on sait également que les élèves, et principalement les élèves les plus en difficultés, font spontanément peu de liens entre les apprentissages. Ils ne transfèrent pas les acquis de ces activités décontextualisées aux situations d’écriture. Sans lien direct avec l’écrit, ces activités s’avèrent peu efficientes et manquent de sens. Il convient donc, dès que possible, d’expliciter ce lien en articulant le travail à l’oral et à l’écrit en proposant régulièrement aux élèves des situations d’encodage (transcription d’un énoncé oral à l’écrit) variées tels que des dictées, des reconstitutions via des étiquettes (de sons, syllabes, mots, phrases ou textes en fonction de leur niveau) ou des productions autonomes permet d’augmenter significativement les performances en écriture mais aussi en lecture. En termes d’efficacité, il n’y a pas de différence significative entre un enseignement basé sur une approche graphique (dont le point de départ est le graphème) et une approche phonémique (dont le point de départ est le son, le phonème) (Goigoux & al., 2016).

Le dispositif des orthographes approchées permet de travailler la phonographie en articulant oral et écrit dès l’entrée à l’école primaire (voire dès la troisième maternelle).

Le fait d’utiliser avec des supports imagés permet de soutenir l’activité cognitive de l’élève sans venir surcharger sa mémoire. Il dispose donc davantage de ressources attentionnelles pour effectuer la tâche demandée. Avec des élèves fragiles on évitera de demander aux élèves “d’aller chercher dans leur tête” des mots qui contiennent tel ou tel son ; on partira plutôt d’exemples concrets proposés par l’enseignant.

Les compétences d’encodage sont aussi fortement influencées par la calligraphie de l’élève et sa capacité à copier de manière efficace des mots. En effet, étant en début d’apprentissage, la charge attentionnelle que lui demande le geste d’écriture et la mise en mémoire des éléments copiés est assez importante. Il n’est alors pas rare d’observer des erreurs (omissions, ajouts, segmentation). Il est donc important de prévoir un apprentissage explicite de la copie (voir copie relais et copie couloir) et suffisamment d’exercices de calligraphie afin d’automatiser ces compétences et ainsi libérer des ressources attentionnelles pour l’encodage en tant que tel. L’utilisation de lettres mobiles peut également  être une piste intéressante en début d’apprentissage (afin de pallier aux éventuelles difficultés graphiques ou d’évocation des graphèmes et pour que les élèves puissent focaliser leurs ressources cognitives uniquement sur le transcodage).

  • La mise en place de rituels

Le travail de la conscience phonologique et du principe alphabétique peuvent facilement s’intégrer dans des activités rituelles.

Les rituels constituent des moyens efficaces d’effectuer un rappel et la remobilisation des savoirs. En effet, on sait que la répétition est un élément déterminant dans la mémorisation à long terme et donc l’acquisition durable des apprentissages. Aussi, il est plus efficace de proposer plusieurs activités courtes (de 10/15 minutes maximum) plusieurs fois par semaine que d’y consacrer une période hebdomadaire de 50 minutes. Ce format favorise aussi l’engagement des élèves dans la tâche et le maintien de leur attention tout au long de cette dernière (surtout en début de primaire où l’attention en continu des élèves est de 15 minutes maximum!).

Ces rituels sont d’autant plus efficaces s’ils sont structurés et répétitifs. Ils se dérouleront selon le même modèle et en visant un seul objectif à la fois. L’utilisation d’un même matériel comprenant des mots simples et connus de tous les élèves est aussi un élément déterminant. Tous ces éléments vont progressivement  permettre à l’élève de concentrer ses ressources cognitives sur l’objectif de la leçon (et non sur la consigne ou sur le vocabulaire). Lorsque, au contraire, l’enseignant cherche à varier le plus possible les exercices, certains élèves n’ont pas le temps de s’approprier les consignes et les démarches ; l’accent est alors mis sur la réussite des activités, plutôt que sur le processus cognitif à acquérir (Goigoux & al., 2016).

  • L’explicitation des stratégies

Durant les différentes activités, l’enseignant est garant du contenu enseigné, mais il essaie aussi de fournir des clés aux élèves sur le “comment” y arriver. Il sera donc attentif à enseigner explicitement, à verbaliser et de faire verbaliser les différentes stratégies employées par les élèves. Le dispositif de la mini-leçon met le focus sur ces stratégies et permet de voir comment procéder.

Par exemple, au niveau de la phonographie, pour aider l’enfant à prendre conscience de la relation entre l’oral et l’écrit, l’enseignant explicitera les stratégies suivantes: “j’étire le mot”, “j’écoute les sons”, “j’écris les sons”,… Ensuite, l’utilisation de tableaux d’ancrage permettra à l’élève de d’automatiser l’utilisation de celles-ci et de devenir progressivement plus autonome dans leur usage.

 

Des repères pour la planification des apprentissages
  • En première primaire

– La capacité de convertir des sons (phonèmes) en graphies et des graphies en sons constitue l’un des focus de la première année primaire (FWB, référentiel FRançais Langues Anciennes – FRALA – 2021).

– Pour motiver les élèves, il est important de leur donner rapidement les moyens de décoder et d’écrire des textes stimulants. Le tempo de l’apprentissage du code grapho-phonémique a donc de l’importance. Le référentiel organise l’enseignement des correspondances graphophonétiques selon un séquençage allant du plus simple au plus complexe, du plus fréquent au plus rare. L’observation de classes montre que la manipulation de 9 à 15 correspondances graphophonétiques sur les 9 premières semaines de l’année peut avoir un impact positif sur l’apprentissage de la lecture et de l’écriture (FWB, référentiel FRançais Langues Anciennes – FRALA – 2021).

– Toujours dans cette idée d’équiper au plus vite les élèves, la fréquence des graphèmes étudiés à également de l’importance. Plus ces derniers sont fréquents, plus le support sera facile à déchiffrer et inversement. À titre d’exemple, voici une progression proposée par certains chercheurs (critères de fréquence et de facilité de discrimination auditive).

Planification proposée par Liliane Sprenger-Charolles (Goigoux et al., 2016)

– Enfin, les textes proposés doivent être “suffisamment déchiffrables” (environ 57% de graphèmes déchiffrables) afin de placer les élèves en situation de réussite. L’outil gratuit Anagraph permet d’obtenir ce pourcentage et donc d’analyser les textes proposés aux élèves.

Attention: ces remarques s’appliquent au choix des supports proposés durant les moments d’apprentissage du code en tant que tel. Cela n’empêche pas de prévoir d’autres moments durant lesquels les élèves sont exposés à des supports plus riches et complexes. Les objectifs de travail ne seront alors pas les mêmes (travail du vocabulaire, de la compréhension, etc).

  • En deuxième primaire

En fin de deuxième année primaire, les élèves sont capables de s’appuyer sur leur connaissance du code pour lire et écrire (notamment des mots nouveaux ou moins fréquents) (FWB, référentiel FRançais Langues Anciennes – FRALA – 2021).

  •  En troisième année primaire

L’apprentissage du code s’efface, sauf pour des correspondances graphophonétiques plus rares et pour aider les élèves à décoder des mots nouveaux, complexes, tels que ceux spécifiques aux autres disciplines (FWB, référentiel FRançais Langues Anciennes – FRALA – 2021).

Enfin, en français, certains sons sont multigraphémiques, c’est à dire qu’il existe parfois plusieurs graphèmes pour transcrire un même son (par exemple le /o/ peut s’écrire o, au, eau, etc). Il est essentiel de travailler l’axe phonographique, mais ce dernier n’est pas suffisant pour orthographier correctement les mots. Très vite, s’il veut écrire selon la norme, l’élève va devoir mobiliser d’autres informations, notamment l’orthographe lexicale.

Pour aller plus loin...
  • Goigoux, R. (2016). L’influence des pratiques d’enseignement de la lecture et de l’écriture sur la qualité des apprentissages au cours préparatoire. Rapport de recherche.  En ligne http://ife.ens-lyon.fr/ife/recherche/lire- ecrire
  • Goigoux, R., Cèbe, S. & Paour, J-L. (2018). Phono. Hatier.
  • Jager Adams M., Foorman B., Lundberg I. & Beeler T. (2000). Conscience phonologique. Chenelière/Didactique.
  • Montésinos-Gelet, I. et Morin, M.-F. (2006), Les Orthographes approchées, Chenelière Éducation.